Mémoire Art Thérapie chant

Chant Thérapie

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Mémoire : Thérapie par le Chant  

Introduction

Mémoire Thérapie par le Chant - Laurence Aïn - 1999

La musique a accompagné tous les moments de ma vie, qu’ils soient heureux, malheureux, angoissés ou sereins, chaque mélodie a fini par représenter des instants sur lesquels la plupart des gens évoquent des dates.

J’aurai pu décider d’en faire ma profession, mais les choses en ont été autrement…

Autodidacte, la musique ne pouvait pas m’être enseignée, elle faisait beaucoup trop partie de mon intimité pour que j’accepte d’envisager un changement dans ma façon de la goûter. Je n’ai pas la prétention de pouvoir dire que je suis musicienne, mais plutôt de dire que je pratique la guitare, le piano, et le chant depuis seize ans.

C’est à travers l’animation que j’ai partagé ce plaisir avec d’autres, découvrant que cela n’altérait en rien les émotions que je continuais à éprouver, et découvrant surtout que je pouvais faire partager ces émotions-là, sans avoir à redouter le barrage de l’incompréhension.

Educatrice Spécialisée, j’exerce depuis huit ans, dans une maison d’enfants à caractère social, auprès d’adolescentes en graves difficultés familiales. La musique ayant été pour moi, jusqu'à il y a cinq ans, un parcours extra-professionnel.
Dans le cadre de ma profession, j’ai pu à différents moments faire intervenir la musique et tout particulièrement le chant, comme médiation à la relation avec des adolescentes que j’accompagnais. 

J’avais déjà eu la chance de pouvoir utiliser la musique comme médiation de la relation, lors d’un stage au centre de Lestrade à Toulouse, avec un jeune garçon, âgé de dix ans, souffrant de cécité et d’autisme. Au travers de la musique, nous avions réussis à établir un contact qui nous avait permis de travailler ensemble sur la notion d’individualité et d’identité.

Lors de mon stage de fin de formation, à la maison d’arrêt de Saint Michel, j’ai pu, là encore, utiliser la musique auprès de toxicomanes. Avec un animateur musical, nous avions monté un groupe de musique composé d’une dizaine de détenus toxicomanes, et j’avais pu clôturer ce stage sur un concert organisé au sein de la prison.

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II. L'art thérapie

1) Historique :

Il est à remarquer que l’utilisation de l’art à des fins thérapeutiques, à l’exclusion peut-être de la musique dès l’antiquité gréco-romaine, est venue secondairement à un intérêt pour le génie et les caractères particuliers des tendances artistiques des aliénés. Ainsi dans son Etude Médico-légale sur la folie en 1872, Ambroise Tardieu signale-t ’il l’importance des dessins et des peintures faites par les fous en ces termes: « Bien que l’attention n’ait été fixée jusqu’ici que sur les écris des aliénés, je ne crains pas de dire que l’on rencontrera souvent aussi un intérêt réel à examiner les dessins et les peintures faits par les fous ».

Simon (1876), dans le sillage de Tardieu, tentera de caractériser des dessins en fonction du type de la maladie mentale, idée qui fit flores et tombe heureusement actuellement en désuétude.

Par la suite dans les publications qui s’échelonnent entre 1900 et 1924, la reconnaissance d’une dimension esthétique des œuvres plastiques des malades mentaux est explicite, du fait de l’influence de Lombroso (1880), dont « L’homme de génie » paraît en édition française en 1889. Ainsi en est-il dans l’essai de Marcel Reja, 1901 « l’Art malade », « Dessin de fou », ou dans les écrits et les dessins dans « Les maladies mentales et nerveuses » en 1905 de Rogues de Fursac. Ces œuvres posent tout de suite le problème « du rapport du regard à la parole », des œuvres à ce que l'on peut en dire.

Dès la première Guerre mondiale, la notion d’un art pathologique est affirmée. En France, Jean Vinchon, en 1924, dans son opuscule « Art et folie », prend position contre les thèses de Lombroso.

En Allemagne en 1922 paraît le livre de Hans Prinzhorn « L’expression de la folie », dont la célébrité mondiale tient autant à sa richesse iconographique qu’à l’originalité de son approche consistant à « transposer l’archaïque en originaire » à en faire la valeur suprême à laquelle le malade mental aura accès « sans savoir ce qu’il fait ». Partagé entre l'étude de l'art, l'apprentissage du chant, une carrière psychiatrique, un intérêt pour les indiens Navajos et l'étude du violoncelle, il rassemble une collection d’œuvres de malades d'établissements psychiatriques européens qui se trouve encore à la clinique d'Heidelberg.

En France, malgré l’intérêt porté par le symbolisme à l’art et surtout à la littérature des fous, ce sont les surréalistes, avec Breton et sa diatribe fort connue contre les psychiatres « bornés, geôliers, des Asiles », de « Nadja » (1828), qui contribuent à la renommée de l’art chez les aliénés. Objets de curiosité et de collection, les œuvres ont, par la suite, principalement été considérées comme des documents aidant au diagnostic, avant de s’inscrire clairement dans une action psychothérapeutique. Parallèlement, la psychanalyse appliquée a contribué à développer une psychopathologie de l’art, axée sur des œuvres, telle la « Gradiva » (Freud), « Van gogh » (Jaspers, 1953).

Les liens entre les psychothérapies avec médiations artistiques et l’art contemporain sont également fondamentaux à considérer. Le développement de l’art en thérapie est, en effet semble-t ’il, parallèle à la diffusion à grande échelle de l’art, depuis la fin du XIXe siècle. Diffusion qui se fait soit par les expositions, soit par les différents médias, en particulier audiovisuels.

Actuellement, la vulgarisation de l’art et son utilisation à des fins multiples, en particulier en publicité, imposent de préciser avec rigueur les conditions dans lesquelles il y est fait appel.

III. La musicothérapie

1) Historique de la musicothérapie :

La plupart des traditions de tous les continents le disent : « Au commencement était le ... son, le souffle, le Verbe, ... ». Si la science parle d’un « big-bang » pour décrire la création de l’univers, ce n’est pas un hasard.

D’après les Egyptiens, le dieu Thot avait créé le monde en poussant un grand cri. Dans l’ancien testament, Jéricho est détruit par le bruit des trompettes. Dès la plus haute antiquité, le son est donc décrit comme créateur ou destructeur.

Au départ des idées de Pythagore, Platon avait créé un véritable système philosophique centré sur l’harmonie. Il reposait sur un équilibre de proportions simples emprunté à la musique. Comme l’Harmonie dans le macrocosme et le microcosme repose sur les lois du nombre, la musique était intégrée aux mathématiques.

Chez les Grecs, il existait déjà des « musicothérapeutes » qui influençaient l’humeur et les humeurs en utilisant divers instruments, rythmes et sons. « Selon le mal, ils choisissaient l’aulos au jeu extatique et émouvant ou celui doux et harmonieux de la lyre ».

Au IVème siècle, Saint-Augustin dans « De Musica » émet des idées fondamentales dont celle selon laquelle la musique reste un bruit insignifiant jusqu’à ce que l’esprit soit touché.

Confucius montre que les philosophes chinois pensaient à peu près la même chose : « Jouis de la musique, c’est la formation de l’harmonie intérieure ». Les contes et légendes d’Orient fourmillent d’évocations mettant en valeur les influences conscientes et inconscientes de la musique. Rappelons que les Lamas tibétains continuent de pratiquer les techniques ancestrales issues d’influences venues de l’Inde. Dans la musique africaine traditionnelle, le rythme sonore et la musique sont utilisés pour la fête mais aussi pour générer des états de conscience modifiés.

C’est depuis la première guerre mondiale que le courant scientifique a posé un regard nouveau sur les effets de la musique. Ces recherches ont surtout été l’œuvre d’auteurs anglo-saxons comme Schoen et Gatewood (1927), Hevner (1936), Carpuco (1952) et Cattell (1953). Parallèlement à ce courant des chercheurs, et parmi eux plusieurs auteurs français, se sont penchés plus précisément sur le problème des significations musicales et certains ont même tenté d’élaborer un système théorique. Citons des chercheurs comme Frances, Imberty, Jost, Pratt, Simon et Werbick.

Des pionniers dans le domaine de la musicothérapie ont réussi à prouver statistiquement la fidélité et la validité de la modification de l’état affectif des individus qui écoutaient une œuvre musicale.

La musicothérapie a pris son envol aux alentours des années 50 sous l’impulsion de J. Jost et a défini progressivement sa place. Utilisée, sous forme vocale et surtout rythmique, depuis des millénaires, des études sur l’action de la musique avaient été réalisées au XIXè siècle, mais les difficultés techniques d’audition, rendaient son utilisation ponctuelle.

Beethoven, sourd, composait des œuvres sans les entendre ensuite. Sa musique était donc intérieure, reflet du retentissement cérébral de son affectivité, de son senti, de son âme.

IV. Le chant

1) Chanter : Pourquoi ?

Nul ne quitte l’adolescence avec sa personnalité ni sa voix véritable. L’instrument a subi des dommages tant émotifs qu’affectifs. La voix est à la fois symptôme et instrument d’évolution intérieure grâce aux rapports privilégiés qu’elle entretient avec notre personnalité et notre moi profond. Pour retrouver l’authenticité tant au niveau de la communication que dans la personnalité toute une démarche initiatique et personnelle est nécessaire.


Chanter, c’est une action qui nous offre le plaisir d’être avec les autres, de respirer, d’articuler et de mémoriser. C’est le plaisir d’être reconnu dans un groupe, c’est être par et avec les autres et donc de retrouver son identité, utiliser son instrument musical corporel pour montrer son existence et s’intégrer dans une communauté de relations, ce qui est valorisant.

Chanter demande de bien respirer donc de contrôler le travail des muscles respiratoires, ce qui augmente l’ampliation thoracique et facilite l’expectoration des bouchons muqueux. Respirer, c’est aussi mobiliser son diaphragme ce qui produit un brassage abdominal favorable pour le transit intestinal. De plus, la modification de la quantité « d’air courant » inspiré durant le chant améliore l’oxygénation du sang, donc du cerveau.

Chanter, c’est articuler, moduler sa voix, mettre en jeu des automatismes (le cortex, les oreilles, le larynx) et les muscles du visage qui en même temps créent le sourire, témoin du plaisir de chanter.

Chanter fait travailler la mémoire auditive, celle de fixation (apprentissage d’un chant nouveau), celle d’évocation du temps vécu (avec sa charge émotionnelle).

Le chant met en relief les voyelles alors que la parole s’appuie sur les consonnes. C’est de la musique qui est en soi et qui ne demande qu’à en sortir. Chanter donne de l’assurance à la façon de parler.

L’ensemble de ces effets favorables retentit globalement sur la santé.

La voix est le monde sonore le plus nuancé et le plus riche, pénétrant le sujet et l’imprégnant d’une correspondance entre vie rythmique et vie physiologique, vie mélodique et vie affective, vie harmonique et vie mentale. La voix est la présentation du « moi », sans vernis culturel ; elle personnalise.

Le chant permet de rendre plus fluides des canaux de communication, ce qui conduit à un allégement de la souffrance, à une meilleure possibilité de repos, à une stimulation de l’instinct de vie.

L’instrument du chanteur, c’est son corps, ce qui fait toute la difficulté et en même temps tout l’intérêt du chant. Apprendre à chanter c’est d’abord et avant tout réapprendre à respirer. Il est capital de développer une conscience corporelle qui permet de prendre conscience des tensions qui affectent la voix.
 
2) Le souffle :

La voix, le souffle et le son sont à la source de tout être humain. Le souffle et le son sont deux énergies complémentaires mais différentes qui se dissocient avec le temps. Pour obtenir l’action maîtrisée, ces deux énergies doivent se marier dans le centre situé à hauteur de l’estomac que les Japonais nomment le « hara ».

« Si le souffle est d’un caractère méditatif et oriental, le son est symbole de l’action. Il est d’une nature plus occidentale et génère les tensions. Le travail va consister à lever ces tensions l’une après l’autre. Au lieu de traduire le texte biblique par « Au commencement était le Verbe », il aurait été plus juste de dire « Au commencement était la Vibration ». Il existe d’abord la vibration de base et le travail de la voix consiste justement à se ré accorder sur elle. Il faut ramener le chanteur à ce que Durkheim appelle l’être essentiel, moi je dirais « un bébé qui aurait bien évolué ». Selon une autre métaphore, il faut rebâtir l’homme selon certaines lois et principes, le ramener à une verticalité vraie. Ce travail est tout autant physiologique que psychologique et spirituel. Pour donner une autre image, il faut revenir à une croix latine bien ancrée dans le sol. Ce travail est essentiel mais toujours différent car il n’y a jamais deux êtres qui se ressemblent. L’expérience acquise ne sert jamais à personne. Il importe cependant que sous mon impulsion, l’individu mette le processus en route et poursuive son travail seul. Car s’il n’agit pas lui-même cela n’aboutira à rien. Mon but n’est pas de rendre dépendant du professeur car une vraie remise en question ne peut s’accomplir que librement et individuellement. Il faut donc que le professeur respecte la liberté de l’élève. »

Le système éducatif bâtit l’homme à l’envers. C’est un phénomène social et un héritage énergétique. L’enfant qui naît quitte un milieu aqueux où il percevait tout le fonctionnement vital de sa mère. Avant même que ne soit coupé le cordon ombilical, l’enfant se purifie par l’air. Il libère son premier cri qui correspond véritablement à son amplitude respiratoire. Mais très vite, avec les premiers mois, sa respiration profonde va être perturbée et sa « boule de souffle » va dériver du ventre vers le cou, l’apprentissage de la station debout et de la marche vont placer le centre de gravité et énergétique au niveau des épaules.

C’est au travers d’un travail sur le souffle et la respiration (ce que nous étudierons plus loin dans le chapitre sur la technique du chant), que le chanteur pourra dépasser une espèce d’apnée et retrouvera les sensations corporelles perdues. L’intellect aura alors repris sa véritable fonction. La suite du travail va s’accomplir dans le quotidien, dans un art de se reconstruire ; l’« inspir - expir » va progressivement sortir de l’ombre et l’individu va retrouver un souffle méditatif - actif.

Au fur et à mesure, l’apprenti chanteur n’entendra plus de la même manière, les relations entre son oreille gauche et son oreille droite se modifieront. Le corps s’éveillera en même temps que la voix se révèlera.

« Comment dire l’équation vitale entre chanter et être ? Comment dire que pour moi, apprendre à chanter et apprendre à être, sont la même chose ? Où mieux, ailleurs que dans le chant, peut-on composer avec les paradoxes du « être en soi » tout en étant l’autre ? Du donner et du recevoir ? Du « être infiniment » dans l’instant présent en participant à l’éternité ? Chant, lieu de l’échange vital, rythmé de l’inspir et de l’expir, souffle de la vie. » 

3) La technique du chant :

V. Mon atelier chant

Mon atelier de chant a pris naissance en 1997, dans un contexte tout à fait particulier.

En effet, une association artistique, connaissant ma pratique musicale, m’a sollicitée à cette époque pour donner des cours de chant. Mes compétences n’étant pas du tout orientées vers l’enseignement musical (j’étais éducatrice spécialisée dans une maison d’enfants à caractère social), je proposais de répondre à cette offre dans la mise en place d’un atelier de chant, où l’objectif ne serait pas l’apprentissage du chant, mais plutôt la pratique. J’ignorais encore totalement de quelle façon je pouvais aménager cette différence que je trouvais importante.

Le premier groupe se composa rapidement de cinq adolescentes, qui n’exprimaient au départ que leur envie de chanter. Après quelques séances, je découvrais que chacune d’elle venait y chercher tout autre chose.

Il est important de signaler que chacune d’elle connaissait ma profession d’éducatrice spécialisée et savaient aussi que mon champ d’intervention se faisait auprès d’adolescentes de leur âge.

En l’espace d’un mois et demi, je prenais conscience que leur implication dans l’atelier était tout autre que ludique. J’avais dans l’atelier deux adolescentes qui vivaient de graves difficultés familiales, deux autres qui étaient en échec scolaire, et une dernière qui se révélait quasiment mutique. Ce constat m’amena à me poser deux questions : mon statut professionnel avait-il été le déclencheur de cet état de fait, ou bien la pratique du chant conviait elle fréquemment à ce genre de constat ?

Six mois plus tard, un groupe de cinq adultes se formait pour répondre à cette question. Trois de ces adultes vivaient un moment de dépression, l’une d’entre elles avait des difficultés d’expression et souffrait d’une inhibition qu’elle qualifiait de « maladive », et la dernière passait son temps à réconforter tout ce monde.

Au fil des séances de cet atelier, je percevais les évolutions des participantes et surtout leur implication. Mais avant d’entrer dans ce débat, j’expliquerai, en avant lieu, les modalités de cet atelier, qui ont évoluées avec le temps, et les difficultés que j’ai pu rencontrer.
 
1) Le cadre de mon atelier de chant :

D'une durée de deux heures :
Un premier quart d'heure consiste à se mettre en place dans l'atelier verbalement et physiquement.
Cette mise en place donne lieu à des exercices physiques liés à la décontraction nécessaire pour être en condition de chanter.

Ce qui est demandé d’emblée, c’est la rupture par rapport à la vie quotidienne. Il s’agit de se débarrasser le plus vite possible des tracas, nervosités, impératifs, obligations, c’est-à-dire du temps de l’horloge, temps social, temps de l’emploi du temps, temps de la contrainte, de la conformité, de la discipline, afin de retrouver le temps intérieur, le tempo de la vie privée, de l’être, du jeu, de l’enfance.

Tous les professeurs de chant parlent de l’imaginaire du chanteur. Sans doute faut-il entendre par là l’état de libre association, de détente psychologique et mentale, celui des rêveries éveillées reliées à cette zone du préconscient dont Freud parle dans la première topique. Le chanteur, à la différence du rêveur, ne peut accéder aux contenus psychologiques inconscients, mais reste relié à des souvenirs non actualisés qu’il évoque dès lors que la musique l’y invite.

J’ai pu évaluer que durant ce temps de préparation, l’expression verbale était étonnamment riche et, si dans mes premiers ateliers ce temps était rapidement abordé pour passer directement au chant, c’est en constatant une meilleure qualité de travail du groupe, que j’ai aménagé cette sorte de rituel d’un quart d’heure, que les chanteuses appellent d’elles-mêmes, « la mise en voix », ou « en voie ».

Puis durant la demi-heure qui suit, je propose un répertoire de chansons à chanter en groupe (différentes à chaque atelier, à moins qu’une demande ne soit formulée de chanter une œuvre déjà chantée), sans travail précis sur la voix.

La demi-heure suivante est consacrée à un travail d'une à trois chansons maximums en groupe (que je choisie en fonction des difficultés vocales à travailler, bien qu’il me soit arrivé de choisir une chanson en fonction du thème qu’elle abordait), où les voix et le travail sur une harmonie des groupes de voix en seront les objectifs.

La demi-heure suivante, chaque participante choisit une œuvre musicale et la chante individuellement.

VI. Une voix de refuge

Sarah est une adolescente de quinze ans qui avait douze ans quand elle a débuté sa participation à l’atelier.

Elle se présente comme une adolescente joyeuse, dynamique, souriante.

Dès le premier atelier, elle vient me dire en aparté, qu’elle souffre d’asthme et que cela pourra rendre difficile son implication dans l’atelier, bien qu’elle me dise en suivant que ces crises ne surviennent que dans un contexte d’efforts physiques. J’entends dès lors qu’elle me demande de la prendre en compte comme une personne en difficulté (même si cela ne revêt qu’un aspect médical dans un premier temps.)

Au fil des ateliers Sarah adopte une attitude toujours en marge du groupe :

Elle chante plus fort que le groupe, y met beaucoup plus de ténacité, a souvent une attitude suffisante vis à vis du groupe, comme si elle voulait leur donner des leçons, ce qui la conduit à s’attirer l’agressivité des autres adolescentes, qui voient dans ce comportement une tentative d’attirer mon attention, et de se faire valoir au sein du groupe. Elle se retrouve souvent à l’écart du groupe de façon très peu perceptible, mais suffisamment pour qu’elle se rende compte du malaise qui s’instaure.

Elle m’apporte des disques à écouter, des gâteaux et cherche sans cesse à découvrir ce qui pourrait me faire plaisir.

Elle a toujours des problèmes d’horaires : soit elle est en avance et quitte l’atelier avant les autres, soit elle arrive en retard et part en retard. S’arrangeant systématiquement pour pouvoir disposer d’un temps où elle sera seule avec moi, ce qui dérange les autres participantes dont certaines vont adopter le même fonctionnement, comme pour ne jamais la laisser seule avec moi.

Je n’arriverais à rencontrer ses parents que lors de la troisième année. En effet ses parents, ne venaient jamais jusqu’à la porte d’entrée, ils déposaient Sarah vingt mètres plus loin, et faisaient des gestes embrouillés pour me faire comprendre qu’ils étaient trop pressés, pour pouvoir faire plus. Même lors des représentations de fin d’année, soit ils n’étaient pas présents, soit ils étaient situés dans des recoins inaccessibles durant la représentation, rendant tout échange impossible. Ce sentiment que j’avais qu’ils ne souhaitaient pas me rencontrer s’est confirmé, quand ils ont autorisé exceptionnellement Sarah à venir en Scooter. Je précise « exceptionnellement » car l’atelier finissait quand la nuit tombait, et pour toute autre activité Sarah n’avait pas l’autorisation de se servir de son Scooter quand il faisait nuit. De ce fait ils n’avaient plus à tenter de m’éviter (ce que je pensais alors et qui s’est confirmé par la suite), puisqu’ils ne venaient plus l’accompagner.

2) L’appréhension des difficultés de Sarah :

a) Quand Sarah parle d’elle :

Durant ce temps où Sarah m’impose sa présence, parfois une demi-heure, soit par le fait qu’elle arrive en avance, soit par le fait qu’elle parte en retard, Sarah me parle d’elle.

Elle me parle de ses problèmes à l’école : en échec scolaire, le conseil de classe envisage une orientation en classe aménagée. Elle n’arrive pas à étudier :

« Quand je rentre de l’école je vais dans ma chambre pour étudier, je commence à travailler et je tombe sur un livre qui me plaît, et j’oublie le temps…quand je me rends compte que je n’ai pas travaillé je m’en veux beaucoup, mais je ne suis pas faite pour les études, je ne retiens que ce que j’aime : les chansons par exemple. Ma mère dit que je n’ai aucune volonté… Je voudrais être infirmière, et je sais qu’il faut faire des études alors… »

VII. Conclusion

Nous avons pu constater qu’il ne s'agit pas de substituer la musicothérapie à une psychothérapie verbale, mais plutôt de présenter au sujet un matériel non verbal, d'offrir à son écoute des extraits dans lesquels il peut se projeter, exprimer un contenu symbolique latent, extérioriser une angoisse…
Au travers de l’atelier de chant, le support de la communication est l'instrument vocal ; il s'agit, là, de permettre à l’individu de se retrouver lui-même par le biais de la créativité. La voix est un instrument de musique. Et le fait de chanter c’est à la fois : soustraire de soi, redonner à soi et donner au désir auditif de l’autre. Si l'on va à l'essentiel, on peut dire avec Ducourneau , que la musicothérapie vise l'ouverture de voies de communication. Pour ce faire, elle prend appui sur le corps et la voix, la sensibilité, la créativité et l'intuition. Elle met en jeu le sens musical inné des personnes pour les aider à s'aider. En musicothérapie active, la musique est cocréée par le thérapeute et les participants ; ce qui en résulte agit comme un pont, un lieu de rencontre et de contact entre les personnes, d'où l'expression "ouverture de voies de communication ». Tout progrès significatif dans le cheminement thérapeutique repose essentiellement sur la conscience de soi.

Toute tentative pour produire un son est ainsi recevable en musicothérapie : dans l’oreille du « musicothérapeute », les critères purement esthétiques cèdent le pas aux critères thérapeutiques. Les sons vocaux, corporels et instrumentaux manifestent une façon d'être au monde. Utilisé dans cette optique, le monde sonore devient un outil infiniment souple et malléable qui s'adapte aux divers états de santé physique, psychique et cognitive des personnes. De fait, toute personne qui manifeste une réceptivité au phénomène sonore est susceptible de bénéficier d'une intervention en musicothérapie. On l'emploie même avec les malentendants ! C'est dire qu'en musicothérapie, l'impact du son sur la personne est utilisé sciemment en prenant en compte les divers attributs du son : sa dimension acoustique (en tant que phénomène vibratoire); la structuration cognitive qu'il permet (place du rythme et de la pulsation dans l'organisation psychique); sa fonction de catalyseur de l'affectivité (la musique comme langage des émotions); ou encore à cause de l'impact de la musique sur le contrôle de la douleur.

Que ce soit au travers de ma carrière d’animatrice, d’éducatrice spécialisée, ou d’animatrice d’ateliers de chant, l’aspect thérapeutique de la musique et plus particulièrement du chant m’apparaît comme une évidence. Il s’agit d’une thérapeutique globale : faisant appel à la sensibilité et à la créativité de l’individu, quels que soient son niveau de fonctionnement cognitif, moteur ou émotionnel et ses besoins spécifiques. Il s’agit d’une thérapeutique qui prend appui sur le non verbal : offrant des modalités d’expression différentes et permettant d’atteindre les individus que la parole rejoint difficilement. Et il s’agit d’une thérapeutique : qui s’adapte à tout individu en respectant son âge, ses appartenances et son bagage culturels ainsi que ses préférences musicales. 

Au travers du cas de Sarah, nous avons pu explorer l’idée que la résolution d’une partie de ses difficultés trouvait une issue dans le travail musical. En effet, la musique facilite le rétablissement des rythmes fondamentaux de l’organisme et de leur synchronie. Elle est agent d’homéostasie. Le chant, est favorable pour créer une réaction de détente ou procurer du plaisir ; inciter naturellement le corps à bouger ; éveiller des réactions émotionnelles ; renforcer le rappel des rythmes temporels (saisons), culturels et cultuels (les fêtes religieuses) marqués en utilisant des objets médiateurs (fleurs, feuilles, nappes blanches, décor, etc.) qui permettent de se situer.

Toute fois, je ne peux pas considérer que cette expérience d’atelier de chant puisse être totalement satisfaisante, dans la mesure où l’aspect thérapeutique de cette activité, même s’il est perçu et nommé par les participantes, n’est pas établi de façon officielle. J’aurai souhaité pouvoir proposer à Sarah et à d’autres participantes un réel travail thérapeutique, repéré comme tel, mais le cadre de cette activité ne m’en a pas donné la possibilité. Il semble important de travailler, longuement et attentivement, sur le contre-transfert, (en effet, j’ai pu me sentir, à des moments, en difficulté face à des débordements transférentiels de certaines participantes).Par ailleurs il paraît indispensable lors de la mise en place d’un atelier de chant, de prédéfinir clairement sa fonction et de différencier les objectifs comme étant à visée thérapeutique, afin de pouvoir élaborer réellement la fonction d’art thérapeute.

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